Transformation numérique des territoires, où en est-on ?

Les gouvernements successifs ont peu porté le développement du champ du numérique ces vingt dernières années, car souvent considéré comme du gadget voire une mode qui passerait vite.

Cette position, partagée malheureusement avec d’autres pays européens, a fortement retardé la France et l’ensemble de l’Europe. La France, en ne prévoyant pas non plus les infrastructures, n’a en plus que peu pris en compte l’adaptation à mettre en place au regard de la dispersion des habitats (les zones blanches).

Alors, le changement est venu essentiellement de l’utilisateur. Aujourd’hui les trois quarts de la population française a accès à « la toile » ne serait-ce que par le smartphone.

La fracture n’est donc pas seulement liée au fait d’obtenir ou non un ordinateur, mais surtout à l’accès des clients/utilisateurs aux services numériques de manière égale sur tous les territoires français et à prix égal.

De plus, l’utilisateur qui s’est habitué à l’usage par le smartphone demande des choses simples d’accès, rapides et efficaces. Les entreprises et les administrations ne peuvent plus seulement faire des copier-coller de leurs anciens modèles sur des applications numériques. Elles doivent les transformer en fonction des usages et surtout des besoins des utilisateurs.

Quels sont les enjeux pour les territoires ? 

Le numérique est un nouveau levier de développement économique, comme l’ont été en leur temps le pétrole et l’électricité. Il implique également une transformation de la société.

J’y vois donc trois grands enjeux pour les territoires. Pour les services publics, c’est un enjeu considérable, celui de donner accès pour chaque citoyen à l’information désirée. Cela suppose en amont une nouvelle organisation de la responsabilité de cette information.

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Le deuxième enjeu essentiel est de repositionner les écosystèmes comme facilitateurs pour le développement des innovations et des énergies locales. Par exemple, il s’agit de développer de la « bonne » concurrence en développant des partenariats simples comme le font certaines entreprises installées en intégrant des créateurs d’entreprise qui ont une bonne idée, mais pas d’infrastructure et qui perdent leur temps à forcer les verrous administratifs (ce que peut supporter une entreprise plus aguerrie) plutôt qu’à développer leur projet.

Le troisième enjeu principal réside dans cette réalité : le numérique, qui n’en est qu’à ses débuts en France, est un prétexte pour repenser ce que l’on fait, pour plus d’optimisation et de transversalité tant dans le service que dans l’approche utilisateur, tant dans le management que dans le service client, tant dans le rapport des collectivités à leur territoire qu’à la participation des habitants à donner leur opinion.

Quels sont les freins qu’ils rencontrent ?

Aujourd’hui pour accéder à une information administrative, il faut pouvoir être connecté. Donc la personne qui n’a jamais été à l’aise avec l’outil informatique ou avec le langage administratif ou encore qui lit mal peut se retrouver encore plus seule devant son ordinateur. L’égalité des technologies, c’est aussi l’égalité de leur accessibilité, pas seulement d’un point de vue technique.

Alors comment les territoires peuvent-ils prendre en compte cette révolution qui n’est pas que technologique et industrielle ? C’est d’accepter qu’elle soit culturelle et sociétale.

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Il s’agit selon moi d’abord d’ouvrir et de faciliter les réseaux locaux (faire se rencontrer les acteurs locaux), former les citoyens comme les entrepreneurs à appréhender les écosystèmes et être moins complexé sur le montant des financements des entreprises qui démarrent avec des projets crédibles.

Lorsqu’un territoire, par le secteur privé ou public d’ailleurs, commence à ouvrir en facilitant la rencontre de la start-up, de l’entreprise plus aguerrie ou de l’accompagnant, du financeur et du distributeur, on voit bien que tout est plus simple et que la jeune entreprise s’acclimate mieux et sur le long terme. C’est d’ailleurs ce que l’on ressent de plus en plus lorsqu’on sort de la capitale.

Comment les aider, les accompagner dans cette transition ?

Les territoires ont un atout formidable avec le numérique, car il permet de :

  • Se distinguer : montrer leur particularité et donner envie aux habitants et aux entreprises de venir s’installer et aux touristes de venir découvrir.
  • Valoriser les forces vives du territoire (entreprises, associations, soutiens, formations…) et leur patrimoine.
  • Lancer une concurrence territoriale positive : se battre pour montrer les atouts et non plus les différences.

Des villes se sont largement organisées pour mettre en place des équipes multipartenariales sur le déploiement du numérique, des entreprises travaillent sur leur transition numérique en interne, mais il reste à mon sens deux problèmes : le financement (même si avec un ministre dédié au numérique c’est plus visible) et la conduite de changement à tous les étages de l’entreprise.

Ainsi, le principal dans l’accompagnement est de faire en sorte que les acteurs des territoires (entreprises, décideurs publics, clients…) coconstruisent et négocient ensemble leur besoin. Ce qui suppose de parler toutes les langues : administrations, collectivités, entreprises, startuper, financeurs.

En fonction des interlocuteurs et des besoins, il peut être nécessaire de renouer avec le projet de l’entreprise ou de la collectivité, de former les équipes, de développer des séminaires interpartenariaux ou d’entreprise, des actions collégiales de business développement (à l’image des délégations françaises au CES de Las Vegas) ou encore de coaching de dirigeant.

Dans tous les cas, le numérique est une bonne occasion pour :

  • Repenser le lien avec les usagers : services, avis, questions, alertes, formations, informations, etc.
  • Placer le partage, la collaboration et la coopération au cœur de l’action : échanges entre entreprises aguerries et porteurs de projet, renforcement des pôles de compétitivités et mentoring, formation courte, régulière et personnalisée pour les porteurs de projet.
  • Développer l’agilité des organisations : mode de management plus souple et plus coopératif et faire en sorte que les services publics s’inspirent du privé ou le contraire.
  • Faciliter les accès : profiter de l’open data pour revoir les positionnements auprès des citoyens qui auront accès à l’information donc une opinion à prendre en compte, anticiper l’impact de « vente » de la donnée et de considérer l’utilisateur comme un simple produit. Et pour finir ne pas laisser tomber ceux pour lesquels il est plus difficile de monter dans le train du numérique.