Bonjour Siham, tu as créé Ô fil des Voisins, une plateforme spécialisée dans l’habitat participatif. C’est quoi le pitch ?

Siham Laux : Mon idée de départ, c’était de redonner du pouvoir aux habitants lors de la construction d’un logement. J’ai donc créé une plateforme de mise en relation, qui fonctionne grâce à un algorithme de matching permettant de créer des groupes intergénérationnels de personnes qui vont s’entendre. Nous accompagnons ensuite ces communautés à co-concevoir leur logement et à développer des liens de voisinage fort. Aujourd’hui, nous avons plus de 500 projets référencés. Chaque projet est unique, dans la mesure où ce sont les habitants eux-mêmes qui choisissent la façon dont ils veulent travailler avec nous, de la recherche des voisins à l’accompagnement par des professionnels, collectivités, mairies, promoteurs, etc.

L’habitat participatif, une utopie ?

Siham Laux : Une utopie qui se réalise, oui ! Aux États-Unis et en Allemagne, ils sont très courants : l’habitat participatif, c’est 50 % du parc immobilier pour notre voisin européen ! En France, ce sont encore des projets compliqués à mettre en œuvre. Mais le concept séduit de plus en plus, surtout son aspect communautaire. Aujourd’hui, beaucoup se sentent isolés. Les gens ont envie de vivre autrement, quel que soit l’âge et la catégorie socio-professionnelle d’ailleurs. L’habitat participatif est un vrai projet de vie, qui consiste à remettre du bon sens. Par exemple, au lieu d’avoir autant de machine à laver le linge que d’habitants, on pourra partager une machine à laver dans un espace prévu à cet effet. Des personnes âgées qui ont besoin de se sentir utile et de retrouver du lien social pourront se joindre à ce type de projet. Et ils retrouveront par exemple des ados pour du soutien scolaire. Et pas seulement. Nous avons tous besoin de nous serrer les coudes, de nous soutenir.

Pour toi, l’intrapreneuriat, c’était une bonne façon de se lancer dans l’entrepreneuriat ?

Siham Laux : J’ai vécu deux ans d’intrapreneuriat au sein du groupe La Poste et aujourd’hui nous avons créé une structure juridique indépendante. Mais ce qui m’a motivé au départ, ce n’est pas l’entrepreneuriat en lui-même. J’étais motivée par l’envie, parce que je portais ce projet personnellement. En fait, j’ai moi-même tenté de mettre en place un projet d’habitat participatif, qui a échoué. Alors, quand j’ai appris que La Poste soutenait des projets intrapreneurs, j’ai tout de suite vu l’opportunité de créer Ô fil des voisins. En plus, le projet collait parfaitement aux valeurs du groupe La Poste.

L’intrapreneuriat m’a permis de me lancer, je n’aurais peut-être jamais tenté l’expérience de l’entrepreneuriat si je n’étais pas passée par cette étape-là. En phase de lancement, nous avons accéléré à une vitesse dingue, tout en bénéficiant d’une vraie sécurisation du projet. C’est une fois les 18 premiers mois passés que nous avons senti le poids et la lenteur des process du grand groupe, à un moment où nous avions au contraire besoin de l’agilité d’une startup.

À quelles problématiques est-on confronté quand on est une femme qui monte une startup dans l’immobilier ?

Siham Laux : Clairement, les femmes n’ont pas les mêmes problématiques. Nous sommes actuellement en incubation chez Paris & Co avec leur programme Immobilier de demain, où il y a une majorité d’hommes. Pour bon nombre de mes collègues hommes, la réussite consiste à lever beaucoup d’argent, et à revendre rapidement. Pour ma part, je compte lever des fonds, mais pas forcément des millions ! Disons que le choix de l’investisseur est essentiel pour moi et je préfère accompagner ces décisions d’une réflexion sur le développement stratégique de l’entreprise, ce qui nécessite des temps plus longs.

Je m’aperçois aussi que la perception du projet est différente quand on sait que ce sont des femmes qui sont derrière. On va nous conseiller par exemple de nous orienter vers des fonds appartenant à l’économie sociale et solidaire. Alors qu’il y a un éventail beaucoup plus large de fonds adaptés à notre projet ! Et puis mon associée, une ancienne postière comme moi, est CTO, un poste où les femmes sont encore moins nombreuses. Alors on se sent un peu seules parfois. Heureusement que les réseaux féminins sont là.

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L’immobilier reste un domaine très masculin. Dernièrement, nous avons participé à un projet de travail pour concevoir un nouveau quartier. Il y avait beaucoup d’hommes autour de la table, et l’idée était d’imaginer des solutions pour « ugrader la ville ». Les hommes avaient imaginé tout un programme d’économie d’énergie, notamment avec des lampadaires qui ne s’allumaient que lors du passage d’un piéton. L’idée était bonne, mais ne prenait pas du tout en compte la sécurité des femmes. Quelle femme a envie de se promener dans des rues noires et d’avoir un lampadaire qui s’allume juste à son passage ? Les hommes autour de la table n’avaient absolument pas pensé à ce « détail », ils étaient en train de créer un quartier qui n’était tout simplement pas adapté aux femmes en fait. Voilà ce qui se passe quand on n’est peu ou pas représenté. C’est pourquoi il est essentiel qu’il y ait plus de femmes CEO !

Mais le secteur de l’immobilier se féminise, et ce que j’observe, c’est que dans les programmes portés par des promoteurs femmes, il y a souvent plus de développement durable. J’en connais une qui a même fait venir les enfants des habitants lors d’une réunion d’échange sur le projet pour qu’ils aient également leur mot à dire !

L’année dernière, tu as remporté le prix les Margaret de la femme digitale intrapreneure, lors de la Journée de la Femme Digitale. Qu’est-ce que cela a représenté pour toi ? 

Siham Laux : C’était une expérience incroyable. Le prix est arrivé pile au bon moment, quand j’essayais de sortir du grand groupe et de m’ouvrir à l’écosystème stratup. J’ai alors découvert avec stupeur que moins de 9 % des CEO en France sont des femmes. Comment être crédible face à des investisseurs, lorsque tu pars en levée de fonds, quand si peu de femmes sont représentées ?

Et puis, les Margaret, c’est aussi une communauté hyper bienveillante et des conseils d’entrepreneures qui n’ont pas de prix. À l’époque, je m’embarquais dans une aventure que je ne maîtrisais pas. Cela m’a permis d’entrer dans un réseau. Et bien s’entourer quand on monte une entreprise, c’est précieux !

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Qu’as-tu envie de dire à toutes celles qui postulent au prix les Margaret aujourd’hui ?

Siham Laux : Participer, c’est déjà bien ! Cela permet de pouvoir se rencontrer. Nous sommes restées en contact entre nommées et nous continuons d’échanger sur nos projets. J’ai également rencontré beaucoup de femmes dans le domaine de l’immobilier et de l’intelligence artificielle. Sans compter la visibilité que le prix donne au projet. En tant que femmes, plus l’on verra que nous sommes nombreuses, plus l’on donnera de la voix aux femmes et mieux se sera. Les Margaret, c’est aussi une vraie crédibilité auprès des investisseurs. Cela confère une certaine image, et en France, l’image, comme un diplôme, ça compte.

Etre une « femme digitale », qu’est-ce que cela veut dire pour toi ? 

Siham Laux : Les métiers de demain seront dans le numérique. Il faut donc prendre sa place dans ce nouveau monde, avec toutes les nouvelles opportunités d’emplois, salariés ou pas qu’il représente. Il faut qu’on s’impose dans ce domaine-là, sinon on va être oubliés, sinon les hommes vont créer des projets qui ne sont pas conçus pour elles.

Et arrêtons de nous servir en entreprise l’excuse de la maternité. Je suis convaincue que ce n’est absolument pas un obstacle, au contraire ! J’ai fait partie de l’association Maman travaille, et beaucoup de femmes avaient monté leur entreprise justement après leur premier enfant. Alors, allons-y !

Vous êtes porteuse de projet ? Pour candidater aux Margaret, vous avez jusqu’au 7 mars 2019 à minuit. Rendez-vous en ligne sur le site La Journée de la Femme Digitale.   

 La 7e édition de la Journée de la Femme Digitale a lieu cette année à la Maison de la Radio à Paris le 17 avril et le 13 juin à Dakar. Cet événement annuel a pour ambition de donner envie aux femmes d’oser, d’innover et d’entreprendre grâce au digital.